Tourisme

La montagne tremble et menace de s'écrouler

Station de Bernex fermée

Station de Bernex fermée, janvier 2021 ©Dep_74

La crise sanitaire a mis en péril l’écosystème montagnard, entraînant des conséquences économiques et sociales sans précédent. En Haute-Savoie, les stations-villages ont su jouer de leurs spécificités et de leurs atouts pour atténuer le choc et rebondir.

Par Patricia Rey, le 9 février 2021

Avec la fermeture des remontées mécaniques, le monde de la montagne subit de plein fouet la pandémie de la Covid-19. Une hécatombe pour tous les professionnels qui redoutent les effets d'une saison blanche. "Les retombées directes et indirectes pour la montagne française s’élèvent, chaque année, à 10 milliards d’euros", rappelle Domaines skiables de France.

Des secteurs entiers impactés

A l’échelle de Savoie Mont Blanc (112 stations dont 50 en Haute-Savoie), les pertes atteindraient jusqu’à 6 milliards à la fin de saison. 170 000 socio-professionnels sont directement touchés. Les hébergeurs, les hôteliers et les restaurateurs des stations, dont les recettes ont fondu comme neige au soleil, ne sont pas les seuls impactés. Pour les magasins de sport aussi, la pression est grande : entre décembre et début février, leurs chiffres d’affaires ont chuté de 90 %. Benjamin Thaller, directeur de l’association Outdoor Sports Valley, déplore aussi "les effets en cascade sur toute la chaîne de production et de distribution. Toute la filière est menacée". Beaucoup de fournisseurs ont vu les dernières commandes annulées et les délais de paiement se rallonger, en l’absence de trésorerie des magasins. Et ce n’est pas fini. "Les fabricants et les marques s’attendent à un recul de 70 % de leurs carnets de commandes pour l’hiver prochain", renchérit-il. Même son de cloche du côté des 50 exploitants de domaines skiables haut-savoyards et des équipementiers, à commencer par les constructeurs de remontées mécaniques pour qui un retour à la normale n’est espéré qu’à l’été 2022...
Faute de rentrées d’argent, les remontées mécaniques comme les collectivités risquent de devoir décaler voire renoncer à leurs investissements. Plus encore, cette situation fragilise de nombreux autres acteurs, du sport, de l’événementiel, de l’agriculture… Quant aux saisonniers, si bon nombre bénéficient du chômage partiel, la moitié sans contrat ne peut bénéficier de cette aide. Et ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg car cette crise qui paralyse la montagne, par effet domino, affecte les vallées.

Un plan d’aide départemental de 10 M€


C’est dans ce contexte que le Département engage un plan d’aide d’urgence. Il vise en particulier à soutenir les collectivités support de stations de ski alpin ayant maintenu des services (navettes, déneigement d’accès et de parking…), proposé une offre d’activités neige adaptée et répondu aux exigences de sécurisation de leur domaine, malgré la fermeture des remontées mécaniques.
Le plan accompagne les ski clubs mis en difficulté d’un côté par la perte de recettes sur les assurances journalières et sur les licences, et d’un autre côté par les coûts liés à la location de pistes et au maintien de la formation des jeunes sportifs.
Le plan intègre un soutien aux jeunes saisonniers locaux des stations, privés d’emploi et non pris en charge au titre des dispositifs de droit commun. Pour cela, le Département mobilise une enveloppe de 400 K€ sur le Fond d’Aide aux Jeunes, avec des règles d’attribution élargies. 200 jeunes pourraient en bénéficier.

Raquettes, montagne

© SavoieMontBlanc - Guillermin

Les stations-villages haut- savoyardes restent attractives


Pour autant, si l’on considère la montagne française dans son ensemble, la Haute-Savoie fait figure de “privilégiée“. Ses stations-villages authentiques, habitées et vivantes toute l’année, seront peut-être moins impactées que les grandes stations d’altitude voisines. Elles ont su être agiles et se renouveler pour attirer locaux et vacanciers. Partout, elles innovent et multiplient activités, initiations et animations pour leur permettre de redécouvrir la montagne et la neige autrement.
Cet hiver plus que jamais, cap sur les activités outdoor (distanciation physique oblige) : fat bike à Avoriaz, Megève et Manigod ; motoneige électrique aux Gets ; tapis skieurs pour les débutants à Passy et aux Gets ; tyrolienne et balade en dameuse à Châtel ; atelier igloo à La Clusaz et dans les Alpes sud Léman ; ski-joëring à Megève, Combloux et Avoriaz ; chien de traîneau à Morzine, Chamonix et La Chapelle d’Abondance ; canyoning hivernal et stage de survie à Sixt-Fer-à-Cheval ; plongée sous glace à Montriond ; balades photographiques à Megève et Chamonix… Et c’est sans compter les initiations au ski de randonnée, au ski nordique, au biathlon, aux raquettes, au snooc et au traditionnel paret. 

Le nordique à fond

Grand gagnant de cette saison inédite, le ski nordique a surperformé et conquis un nouveau public, y compris les fanas de glisse. Privés de ski alpin, ils sont nombreux à s’être (re)mis à l’alternatif et au skating. "Nos 24 sites nordiques sont pris d’assaut et nous battons tous les records de fréquentation et de chiffre d’affaires", confirme Guillaume Maurel, directeur de Haute-Savoie Nordic, qui anticipe un chiffre d’affaires supérieur à 2 millions d’euros. En début d’année, certains domaines ont accueilli entre 30 et 70 % de skieurs de plus que l’hiver dernier, enregistrant des pics à plus de 4 000 skieurs/jour, contre une moyenne de 1 000 à 1 200 d’ordinaire. Parmi la clientèle, des locaux mais aussi 25 000 scolaires qui s’initient au ski de fond. Et le responsable de l’association de rappeler "l’enjeu culturel de cette pratique dont les racines sont en Haute-Savoie". La raquette à neige et le ski de randonnée connaissent aussi un véritable engouement, largement amplifié avec la fermeture des remontées mécaniques. Les professionnels ne s’y sont pas trompés, dopant leur parc de location, et proposant balades guidées, sorties à la journée ou la nuit à la frontale, randonnées avec nuit en refuge… Et les domaines nordiques d’ajouter des itinéraires plus nombreux, accessibles et sécurisés. De vraies expériences à vivre. Retour à la nature, air pur, découverte des grands espaces, tourisme bienveillant, la montagne et ses activités cochent toutes les cases.

Ski de fond sur le domaine de Praz de Lys.

Ski de fond sur le domaine de Praz de Lys © Dep74 – L. Guette