Culture et patrimoine

La belle et ses bêtes

Chablais
Noémie Collet

Noémie Collet. © Dep74 -L. Guette

Par Sylvie Bollard
En partenariat avec le magazine ECO Savoie Mont Blanc

AGRICULTRICE À SAINT-JEAN-D’AULPS, NOÉMIE COLLET A ÉTÉ ÉLUE MISS FRANCE AGRICOLE 2020. UNE BÊLE RECONNAISSANCE POUR CETTE CHEVRIÈRE PASSIONNÉE.

À peine Noémie Collet est-elle montée sur l’estrade que 90 paires d’yeux la suivent comme un seul homme. Figées dans sa direction, les têtes cornues s’insinuent dans les cornadis pour encore mieux l’admirer. Toutes les chèvres de France n’ont pas le privilège d’avoir une Miss pour maîtresse !

LA BEAUTÉ DE SA DÉMARCHE

Alors que Miss Guadeloupe était couronnée reine de beauté 2020 le 14 décembre dernier, Noémie Collet remportait le même jour le titre de Miss agri 2020. Sans avoir eu à poser en maillot de bain et talons aiguilles et sans avoir dû quitter un seul instant celles qu’elle chérit presque autant que ses deux enfants : ses 90 chèvres de race alpine qu’elle élève en Gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun) avec sa mère à Saint-Jean d’Aulps. La beauté de sa démarche a séduit le jury tout autant que son sourire à toute épreuve.

À toute épreuve, car de la ténacité et de l’optimisme, il lui en a fallu pour donner corps à son rêve d’élevage. Fille de chevriers, Noémie Collet a su très tôt qu’elle voulait marcher dans les traces de ses parents. Après un bac agricole et un BTS en comptabilité, elle prend les rênes de l’exploitation en 2013. Mais localement, tout le monde ne voit pas son installation du bon oeil. Les déboires se multiplient. Loin de plier l’échine, Noémie se bat pour défendre ses droits. « Je respecte les gens  et j’aime que cela soit réciproque », dit-elle sobrement. De ses chèvres adorées, elle a l’intrépidité et la détermination.

Et ce ne sont ni les 90 heures de labeur hebdomadaires, ni le fiel auquel elle se heurte qui l’arrêtent. « J’ai affronté tellement de situations que je n’ai plus peur de grand-chose », affirme cette pétillante trentenaire.

chèvres

© Dep74 -L. Guette

FAIRE ENTENDRE SES VALEURS

Pourtant, elle avoue « avoir trouvé dur » de faire sa place. En tant que femme tout d’abord. En tant que mère ensuite. Dur « d’assumer les heures physiquement ». Dur de se rendre compte qu’au final, une fois tous les calculs effectués, elle ne gagne qu’un euro cinquante de l’heure. Oui mais… « Je n’aurais pas pu faire autre chose, je suis faite pour ça et je voulais que mes enfants grandissent dans ce milieu. ».

C’est cette démarche passionnée que l’éleveuse a voulu mettre en lumière en posant sa candidature au concours de Miss France agricole. « Je me suis dit que ça pouvait être l’occasion d’une revanche extraordinaire par rapport à mon parcours difficile, de me montrer telle que je suis et de porter mes valeurs. »

Elle rédige alors son texte de présentation et y joint une photo. 123 autres agricultrices françaises font de même. Mais c’est sa missive qui remporte finalement tous les suffrages. « Je pense que ce qui a fait la différence, c’est mon franc-parler et mes convictions. Et puis j’ai plein de choses à dire ! D’ailleurs, poursuit-elle, ma mère trouve que je n’ai pas une bonne rentabilité quand je vais au marché car je parle énormément de mon travail avec mes clients. C’est mes tripes, je vis pour ça ! »

Elle leur raconte ses chèvres qu’elle appelle toutes par leur prénom. Elle leur parle des traites, des mises-bas, du patou trop gentil, de la luzerne bio qu’elle fait venir d’Ardèche pour l’hiver, du maïs bio et local de Massongy, de l’alpage sous les pentes du Roc de Tavaneuse ou de cette biquette qui n’est jamais revenue un soir d’été. « Je ne l’ai jamais retrouvée, je n’ai donc jamais pu imputer sa disparition au loup, mais tout le monde sait qu’il y a une meute non loin d’ici. »

UNE VIE DE LABEUR

Le loup contre lequel elle aimerait que les éleveurs puissent se défendre « sans condition », même si elle affirme ne pas être contre sa présence. « Il faut que les gens comprennent que les moyens de protection actuels sont inefficaces : 80 % des attaques sont perpétrées sur des alpages protégés et 20 % dans la journée», dit-elle. Un prédateur qui s’ajoute aux multiples contraintes auxquelles sont confrontés les agriculteurs, telles que l’urbanisation qui grignote leurs terres, le tourisme qui génère des conflits d’usage, etc.

« Comment, dans notre société tournée vers les loisirs, faire comprendre notre vie si différente ? » interroge-t-elle. Une vie qui tourne trop souvent au drame sous la pression des heures accumulées, des revenus inexistants, des charges trop lourdes et des mensualités asphyxiantes. « Près de deux paysans se suicident tous les jours dans notre pays, rappelle-t-elle, soudain grave. Moi, j’ai tout fait pour n’être que très peu dépendante de la Pac qui ne représente que 6 % de mon chiffre d’affaires. Mais ma vie est une vie de labeur. » Émaillée du plaisir intense de « créer de la valeur ajoutée, de transformer le lait de mes bêtes en fromages bio, d’entendre mes clients me dire qu’ils se régalent et de gagner des concours en chevrotin par exemple ». Ou celui de Miss agri grâce auquel elle entend mettre en valeur agriculture et féminité. Sans robe de soirée ni couronne, mais avec des convictions empreintes d’une grande sincérité.

Noémie Collet

Noémie Collet en train de traire. © Dep74 -L. Guette

LE CLOS AUX CHÈVRES

Située à Saint- Jean-d’Aups, l’exploitation de Noémie Collet, le Clos aux chèvres, compte 90 animaux et est certifiée bio depuis 2018.

65 000 litres de lait y sont transformés manuellement tous les ans en fromages divers : chevrotin AOP, tomme, raclette, crottins, sérac, tomme morgée, yaourts, flans…

Le chiffre d’affaires du Gaec se monte à 170 000 euros par an.